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23 février 2007

Les hirondelles

Voici un texte que j'avais écrit en référence à mon passé pour un site d'écriture.

J'essaie aujourd'hui de m'accrocher au message qu'il contient ...en redoutant de vivre le retour des hirondelles sans mon épouse.

Elles étaient de retour !

Depuis quelques jours il les attendait. Les hirondelles s’activaient et construisaient leur nid.

« Cette année, il y en aura quatre sous le faîte de la maison » observa-t-il

Il esquissa un sourire ingénu. Ses yeux bruns pétillants suivaient le manège des oiseaux qui virevoltaient dans le ciel avant de se précipiter sous la protection du toit.

Au bout d’un moment, son attention se relâcha et sa mémoire le porta plus de 40 ans dans le souffle du passé…

***

« Encore du pain stp grand-maman »

« Et bien, tu as bon appétit ce matin »

« Je dois prendre des forces »

Le bol de cacao cacha son petit visage. Il bu avidement, pressé de sortir. L’énorme pendule oscillait avec sa régularité coutumière. Les aiguilles indiquaient 9h10.

« Dis grand-maman, tu crois qu’ils sont là ? »

« Je ne sais pas Guillaume. Je n’ai rien vu ce matin. Tu peux aller voir mais ne va pas sur la route »

« Non, grand-maman, j’te promets ».

Il se leva, laissant sur la table son bol et son assiette pleine de miettes. Il se précipita vers l’embrasure de la cuisine et courut dans le couloir. La grosse porte d’entrée était lourde et il dut s’y prendre à plusieurs fois pour l’ouvrir.

Aujourd’hui le ciel était bleu pâle, le soleil chauffait déjà. Ce mois de juillet méritait son étiquette estivale.

La route qui montait de Châtillens à Essertes passait devant la maison. Elle était encore calme ce matin. Quelques voitures occasionnelles rompaient la quiétude de ce coin de campagne. Une barrière la séparait de la petite ferme depuis la mort accidentelle de la fille cadette. Elle était sortie en courant pour aller chez la voisine d’en face. Elle avait huit ans. C’était le troisième enfant sur neuf qui avait ainsi été enlevé tragiquement à l’affection de ses parents. La mémoire de la grand-mère était encore marquée par ces drames.

Le petit garçon se dirigea rapidement vers la fontaine abritée dans un renfoncement de la maison. Au fond se trouvait le local en bois qui abritait les WC. En fait, il s’agissait d’une simple fosse. Guillaume détestait cet endroit. Il préférait « arroser » les champs. Quant au reste…c’était un supplice. La bâtisse ne possédait pas encore le confort.

Il leva les yeux. Au plafond étaient suspendus trois nids. Rien ne bougeait, comme d’habitude. La déception se lisait sur le visage de l’enfant.

Tout d’un coup un oiseau arriva à une vitesse folle et s’agrippa à un nid. Alors des becs ouverts apparurent et des pépiements rompirent le silence. L’hirondelle repartit et pendant un instant, le bruit continua. Puis plus rien.

Guillaume n’en croyait pas ses yeux.

« Grand-maman, grand-maman, viens, il y a quelque chose, viens Grand-maman »

Celle-ci entendit les cris et arriva, un peu essoufflée.

« Regarde, regarde, ils sont là »

L’enfant sautillait en montrant du doigt l’un des trois nids. D’autres hirondelles vinrent et répétèrent les acrobaties de la première.

Finalement, deux nids étaient occupés. L’un hébergeait trois oisillons, l’autre quatre !

« Chut, ne fais pas tant de bruit, tu vas les effrayer »

« Grand-maman, je peux prendre une échelle pour les caresser ? »

« Surtout pas » répondit fermement l’aïeule. « Nous devons les laisser tranquilles et ne pas les toucher . Autrement leurs parents ne les nourriront plus et ils mourront. »

« Mais grand-maman, je les vois pas bien, même en sautant »

« Ne t’en fais pas. Lorsqu’ils sortiront, ils resteront près du nid et tu pourras les observer. Pour l’instant, regarde comment son papa et sa maman les nourrissent »

Guillaume attachait son regard aux nids. Chaque fois que les adultes arrivaient, ses yeux marron étincelaient de plaisir. Ce matin-là il resta bien une heure à observer.

Lorsque leurs parents n’étaient plus là, il parlait aux petits, riait, dansait, heureux. Il s’assit et devint d’un coup mélancolique.

« Vous avez de la chance vous. Vos parents vivent avec vous, ils sont là tous les deux. Moi, mon papa vient seul me voir et ma maman aussi. Et puis mon papa dit que ma maman est méchante. Je l’ai entendu hier quand il téléphonait à grand-maman. »

Quelques larmes perlèrent sur ses joues. Il les essuya vite. Il ne fallait pas que grand-maman les voit.

Peu après arriva l’oncle Tom. L’homme marchait avec une canne car il avait eu les jambes coupées sur une voie de chemin de fer, un soir de chagrin amoureux, imbibé d’alcool. Maintenant il marchait avec des prothèses. Il était volontaire et faisait face à la vie, sauf lorsqu’il buvait trop. Il était un brin rustre. Mais il aimait bien son neveu de quatre ans. Bien que parfois celui-ci lui jouât des tours pendables, l’aspergeant d’eau puis filant à toute vitesse en profitant de son handicap.

« Et tu vas voir si je t’attrape, petit vermisseau, dans la fontaine que tu vas passer » criait-il alors d’une voix qu’il voulait faire grosse.

Le gamin riait et narguait son oncle qui était toujours torse nu. Son crâne nu rougi par le soleil, ses épaules basanées, donnaient à cet homme un aspect comique. Il restait de longues heures assis sur le bord de la fontaine, sa canne entre les mains et un litron de bière ouvert à côté de lui. Les autres bouteilles étaient dans l’eau fraîche de la fontaine avec souvent le caisson de truites qu’avait péché le père ou le grand-père de Guillaume.

« Regarde oncle Tom, les petits oiseaux, ils sont là »

L’homme regarda et s’amusa de la joie de son neveu. Mais bourru comme à son habitude, il lui lança :

« Tu ne leur jetteras pas des cailloux, hein, moustique »

« Mais non, c’est mes copains »

« Et ben voilà, l’espérance pourra continuer d’être apportée » philosopha l’oncle.

« C’est quoi oncle Tom l’espérance ? «

« C’est ce qu’amène les hirondelles avec le printemps. C’est croire que demain est encore possible. Ne leur fait donc jamais de mal. Et si plus tard tu as une maison, laisse-les venir sous ton toit, même si cela salit le sol »

Le petit garçon regarda alors ces messagers extraordinaires. Ses yeux bruns malicieux pétillaient.

***

« Chéri, tu as pris les clés de la voiture ? »

Il sursauta. Sa femme le regarda étonnée.

« Que fais-tu ? Tu m’as l’air bien pensif »

« Regarde, elles sont revenues »

Elle regarda et sourit. Elle aimait bien elle aussi les hirondelles, même si cela allait de nouveau apporter de la souillure.

« Aïe, cette fois elles construisent au-dessus de la porte d’entrée. Dommage que cela apporte autant de saleté.»

Elle avait appris, depuis trois ans qu’ils possédaient leur maison, combien il aimait les hirondelles. Il était triste l’automne lorsqu’elles ne virevoltaient et ne gazouillaient plus. Il était gai le printemps lorsqu’elles revenaient. Dès avril il scrutait régulièrement l’horizon en s’interrogeant  « Je me demande quand elles vont venir ». Leurs filles se moquaient un peu de leur père et le taquinaient volontiers sur le sujet. Mais lui n'en avait cure.

L'année passée, il en avait voulu à son voisin, car celui-ci détruisait les nids.

"Sinon on ne sait plus où poser les pieds » avait maugréé celui-ci.

« On peut bien leur offrir l’hospitalité. Bien sûr, cela a des inconvénients, mais nous devons les protéger » avait pensé Guillaume. Il lui avait répondu :

« A mes yeux, elles représentent l’annonce de l’espérance »

« Pff, c’est quoi l’espérance aujourd’hui avec ce monde qui s’enflamme ? » avait objecté l’homme.

«L’espérance ? C’est croire que demain est encore possible… »

L’Orient, le 16 août 2005

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Commentaires
S
Merci pour ce texte qui me permet de découvrir un passage de ta vie que je ne connaissais pas encore. Elles vont bientôt revenir... oui ça va être tellement dur de les voir revenir alors que celle qu'on aimait tellement ne reviendra plus. Mais je sais à quel point tu es fort papa, et je sais au fond de moi que tu vas y arriver. Tu vas croire que demain est encore possible... Et quand tu n'y arriveras plus elles seront là pour te le rappeler, comme un clin d'oeil de Dieu. Je t'aime fort! Merci pour ce message d'espérance.<br /> Ta fille
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